En ouvrant l’aide médicale à la procréation (AMP ; on parle aussi de procréation médicalement assistée ou PMA) aux couples de femmes et aux femmes non mariées, de même qu’en autorisant l’autoconservation des gamètes en dehors de toute indication médicale, la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique a fait entrer cette technique auparavant exclusivement médicale dans le domaine sociomédical.
Or, parmi les aspects sociétaux pris en compte par la loi, la question de l’accès aux origines des enfants nés de tiers donneurs constitue un point majeur de discussions, qui n’a cessé de s’amplifier au fil des années.
La question de l’« anonymat du don de gamètes » est en effet en réalité celle de l’accès à leurs origines des personnes conçues par une technique d’AMP « exogène », c’est-à-dire faisant intervenir un tiers via un don de spermatozoïdes, d’ovocytes ou d’embryon.
La loi ouvre désormais la possibilité, pour ces personnes, de demander à connaître leurs origines à leur majorité. À cet effet, une commission dédiée a été créée par le texte : la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD).
Qu’a changé la nouvelle loi ? À quelles informations peuvent espérer accéder les personnes désireuses de connaître leurs origines ? Comment fonctionne la CAPADD, et quel est le bilan de sa première année d’activité ? Voici ce qu’il faut savoir.
De l’anonymat des donneurs au droit à l’accès aux origines
Le don de gamètes, voire d’embryon (on parle alors non plus de don, mais « d’accueil » d’embryon) présente comme particularité d’impliquer non seulement les tiers donneurs et les receveurs mais, également, l’enfant issu du don.
Or, depuis 1994, la loi appréhendait ce type de don comme un don ordinaire de produits du corps humain et, par voie de conséquences, le soumettait au même régime d’anonymat. Ce principe trouvait sa continuité, de même que sa garantie, dans l’impossibilité pour l’enfant né du don d’accéder, même une fois devenu majeur, à de quelconques informations relatives au tiers donneur, l’interdiction faisant l’objet de mesures d’ordre civil et pénal.
Ce principe demeure aujourd’hui encore inchangé entre donneurs et receveurs. Cependant, les débats autour de la question dite « de l’anonymat du don de gamètes » ont pris une ampleur de plus en plus importante au fil du temps, en particulier suite aux initiatives de personnes conçues par don de gamète.
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Certaines d’entre elles, réunies en associations, on fait connaître le besoin qu’elles ressentaient de connaître leurs origines génétiques, tout en revendiquant le droit d’accéder à cette partie de leur histoire. C’est-à-dire, si ce n’est de connaître l’identité, tout au moins de se voir délivrer des informations relatives aux tiers donneurs à l’origine de leur conception.
Leur parole s’est fait l’écho d’un fort courant psychanalytique et sociologique dénonçant les effets délétères du secret. Elle a en outre été renforcée par des arguments strictement médicaux : il existe en effet pour certaines des personnes conçues par AMP un risque de perte de chance de prévenir certains problèmes de santé, en raison de l’ignorance d’une partie de leurs origines génétiques.
Il faut aussi relever que la Cour européenne des droits de l’homme, dès 2003, a reconnu, puis réaffirmé à plusieurs reprises, que l’article 8 de la Convention européenne, qui garantit le droit à la vie privée, protège un droit à l’identité, connaître l’identité de son géniteur représentant un aspect important de ce droit.
Accès aux données non identifiantes
Ces différents éléments ont été pris en compte durant les débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la dernière révision de la loi relative à la bioéthique.
Ceux-ci ont abouti à l’élaboration de l’article L. 2143-2 du Code de la santé publique, dans sa version issue de la loi du 2 août 2021, qui dispose que « toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur ».
Depuis le 1er septembre 2022, les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leurs embryons doivent consentir préalablement et expressément à la communication de leurs données. Le texte distingue les données identifiantes (le nom de naissance, les prénoms, le sexe, la date et le lieu de naissance) et non identifiantes (âge, état général, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations du don rédigées par ses soins). En cas de refus, elles ne peuvent procéder au don.
À sa majorité, la personne née du don pourra avoir accès aux données identifiantes ou non identifiantes du donneur, ou les deux, selon son souhait.
Quelles personnes conçues par AMP peuvent accéder à leurs origines ?
Pour d’évidentes raisons liées aux conditions dans lesquelles les donneurs s’étaient engagés, la loi ne vaut que pour l’avenir. En d’autres termes, elle ne s’applique qu’aux dons réalisés à partir de sa mise en œuvre.
Le législateur, néanmoins, a pris acte de la situation des personnes conçues antérieurement et, par un amendement parlementaire, a ouvert ce droit d’accès aux personnes nées de dons réalisés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Cet accès se fait non seulement sur la base du volontariat des personnes souhaitant connaître leur donneur mais aussi, et surtout, des donneurs qui consentent à communiquer leur identité, renonçant ainsi à l’anonymat qui leur avait été garanti au moment du don.
Une commission dédiée a été créée par la loi pour instruire les demandes des personnes nées de dons et recueillir les consentements des anciens donneurs : la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD).
Cependant, la possibilité légale d’interroger les anciens donneurs, afin qu’ils consentent ou non à revenir sur l’anonymat qui leur a été garanti, ne va pas de soi.
Preuve en est, la transmission par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par un requérant qui reprochait à la loi d’avoir prévu qu’un tiers donneur, ayant effectué un don de gamètes ou d’embryons à une époque où la loi garantissait son anonymat absolu et définitif, puisse être contacté et à plusieurs reprises par la Commission afin de recueillir son consentement à la communication de ces données. Et ce, sans lui permettre de refuser préventivement d’être contacté ni garantir qu’il ne soit pas exposé à des demandes répétées.
Le Haut Conseil, en concluant par une décision du 9 juin 2023 à la constitutionnalité de la disposition critiquée, a permis de sécuriser le dispositif en place et, par-là, l’activité majeure de la CAPADD.
Les missions de la CAPADD
Présidée par une magistrate de l’ordre judiciaire, la CAPADD réunit en son sein des représentants d’associations (tant de personnes nées de dons que de tiers donneurs ou de parents), des médecins, psychologues, sociologues, anthropologues, experts et juristes.
Ce caractère pluraliste lui confère une véritable richesse en termes de latitude d’idées, d’échange d’expériences et de confrontation des modes de raisonnement, ce qui permet d’affiner au mieux les réponses apportées grâce à la prise en considération des points de vue de chacun. Il permet également de prendre la mesure du bouleversement qu’a constitué cette réforme, tant pour les personnes nées de dons que pour les anciens donneurs.
La CAPADD réunit seize membres titulaires et autant de suppléants, désignés par arrêté du 5 septembre 2022 et installés le 7 septembre suivant.
Elle a trois missions principales :
- La première est de recevoir le consentement des tiers donneurs qui ont procédé à un don antérieurement au 1er septembre 2022 et qui souhaitent communiquer des informations les concernant aux personnes nées de leur don qui en feraient éventuellement la demande. Une fois leur consentement réceptionné par la CAPADD, les données sont enregistrées par les centres de dons dans le registre dédié à cet effet mis en place sous la responsabilité et le contrôle de l’agence de Biomédecine.
- La deuxième mission de la commission est de recevoir et instruire les demandes des personnes nées de dons. Les personnes qui la saisissent ont le choix d’une demande portant soit sur l’identité du donneur, soit sur ses données non identifiantes ou soit sur l’ensemble de ces données. Certaines personnes ne souhaitent pas connaître l’identité du donneur, mais uniquement avoir des éléments sur ses caractéristiques physiques, personnelles et connaître la motivation du don.
- La troisième mission de la commission est d’assister les centres de dons lorsqu’ils ont un doute sur le caractère identifiant ou non de certaines données transmises.
La commission s’adresse aux anciens tiers donneurs ou aux personnes nées de don par courrier postal.
L’accompagnement des personnes impliquées dans ce processus étant un point majeur de la mission de Commission, le secrétariat général de la commission est joignable tous les jours ouvrables, offrant écoute, explications et informations à la suite d’un courrier.
Une psychologue accompagne la Commission, tant pour aider à caractériser le besoin d’information et d’accompagnement, élaborer des supports de formation à destination des différents publics, que pour prendre en charge certaines situations individuelles.
Quel bilan au bout d’un an ?
Au terme de sa première année d’exercice, la CAPADD a rendu public vendredi 15 septembre 2023 le rapport de sa première année d’exercice.
Ce rapport dresse un bilan chiffré de l’activité et expose les modalités précises de fonctionnement de la Commission, en faisant état des difficultés rencontrées dans sa mission et des pistes d’amélioration.
Les rapporteurs ont dressé un bilan positif de ces premiers mois d’exercice. Durant cette période, la Commission a reçu 434 demandes de personnes nées de dons. Elle a travaillé avec 26 centres de don des structures hospitalières qui, seuls, disposent des archives comportant l’identité des donneurs.
La mise en place de la CAPADD a nécessité d’établir une procédure de recherche et de mise en contact. Des efforts ont été réalisés dans ce sens, y compris de la part des centres de don, qui se sont par ailleurs trouvés confrontés aux nombreuses autres évolutions de la loi.
Grâce aux recherches menées par les médecins de ces centres, à la demande de la commission, 101 donneurs ont pu être identifiés (23 donneurs sont décédés). Parmi les donneurs contactés et ayant répondu à ce jour, un sur deux a donné son consentement à la communication de ses données.
La Commission a par ailleurs a reçu 435 consentements spontanés d’anciens tiers donneurs à la communication des données et informations les concernant.
Elle poursuit ses efforts en lien étroit avec les médecins des centres de don pour identifier les donneurs pour lesquels les recherches n’ont pas encore abouti. Un de ses principaux objectifs pour l’année à venir sera de parvenir à réduire les délais de réponse aux demandes qui lui sont adressées.
Cet article a été co-écrit par Stéphanie Kretowicz, magistrate, présidente de la commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs depuis le 1er septembre 2022.
Auteur
Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.